La guerre de Sécession - Les enjeux réels du conflit

(Temps de lecture estimé : 5 à 10 mn)

Tournant majeur de l’histoire de la république américaine, la guerre de Sécession reste perçue aujourd’hui comme un profond traumatisme. Pendant quatre ans, les combats entre les partisans de l’Union et ceux de la Confédération ébranlèrent l’ensemble du territoire américain et firent plus de morts que tous les autres conflits passés et futurs que connurent les États-Unis.

La guerre de Sécession a placé les États-Unis face aux choix de société qui devaient déterminer les grands traits de leur construction politique. Les années 1861-1865 constituent ainsi un tournant au cours duquel commence à se dessiner la société américaine telle que nous la connaissons aujourd’hui.

Cette construction s’effectue autour de la question de l’esclavage, mais pas uniquement. Il s’agit également de repenser la place de l’État. L’édifice politique américain doit-il reposer sur un pôle central unique, Washington, ou doit-il être un agrégat d’États fédérés conservant un large degré d’autonomie ?

La guerre de Sécession tente aussi de repenser le paysage politique des États-Unis, caractérisé auparavant par la toute puissance du seul parti démocrate. Elle interroge encore la nature des relations que les États-Unis doivent entretenir avec le reste du monde. Autant de questions déterminantes à l’heure où se façonne peu à peu l’Amérique contemporaine.

Dans cette première saison de la série sur la guerre de Sécession, nous analyserons comment le contexte politique, économique et social de l’époque a mené les États-Unis vers le conflit le plus meurtrier de leur histoire.

I- La situation de la jeune république américaine

a) L’Indépendance

La situation des États-Unis à la fin des années 1850 est avant tout celle d’un pays jeune. D’abord constitués d’un ensemble de provinces assez hétérogènes sous l’autorité de la couronne britannique (appelées les Treize Colonies), les États-Unis d’Amérique n’amorcent leur émancipation qu’avec la Déclaration d’Indépendance du 4 juillet 1776.

Les 13 colonies américaines en 1776

Alors que s’organise une véritable armée insurrectionnelle, sous l’autorité de George Washington, les Anglais interviennent immédiatement. Cependant, les rebelles américains bénéficient en sous-main du soutien de la France, qui voit l’indépendance des colonies américaines comme un facteur d’affaiblissement de la Grande Bretagne, son grand rival en Europe.

Le 20 janvier 1783, les insurgés obtiennent finalement la reconnaissance du nouvel État par la signature du traité de Versailles. La guerre s’achève donc par la création d’un nouvel État, dans lequel tout reste à construire, aussi bien d’un point de vue politique qu’économique.

b) Différentes approches de la nouvelle société américaine

Immédiatement, deux grands courants se distinguent. Ils illustrent les deux visages des États-Unis à l’heure de l’indépendance. Alors que le climat du Sud est favorable à des cultures de plantation, le Nord, lui, amorce déjà un début d’industrialisation. Ces deux tendances sont portées par deux grandes figures emblématiques du nouveau régime.

D’un côté, Alexander Hamilton s’illustre à la tête des "fédéralistes”, proches des milieux industriels. Ceux-ci défendent une plus grande prédominance de l’État central et désirent soutenir la compétitivité de l’industrie américaine en imposant de fortes taxes aux frontières des États-Unis. Le but de ces mesures protectionnistes est de permettre à l’industrie américaine de rattraper son retard sur les industries européenes en s’appuyant sur le fort potentiel de son marché intérieur.

À l’inverse, le parti démocrate-républicain croit en une plus grande liberté laissée aux États fédérés. À sa tête, Thomas Jefferson, un grand propriétaire terrien du Sud, défend un développement axé sur l’agriculture. Ce développement agricole reposant largement sur les exportations, Jefferson soutient donc une économie ouverte sur le monde, c’est-à-dire libre-échangiste.

Finalement, la Constitution, adoptée en 1787, aboutit à un compromis entre ces deux tendances, à l’image de la cohabitation d’Hamilton et de Jefferson dans le gouvernement du premier président des États-Unis, George Washington. Les oppositions persistent néanmoins entre un Nord industriel, globalement favorable aux idées fédéralistes et un Sud très attaché à une économie de petits propriétaires terriens et à l’autonomie des États. Les clivages naturels entre Nord et Sud sont ainsi progressivement prolongés par des divergences économiques et culturelles grandissantes.

c) Un développement très rapide au nord du pays

Le début du XIXème siècle est marqué, aux États-Unis, par un très fort développement du pays et ceci de plusieurs points de vue.

On assiste premièrement à un véritable décollage économique, et à un début de "révolution industrielle”. Comme souvent, cette révolution s’appuie d’abord sur l’essor de l’industrie textile, source de croissance rapide et secteur à la valeur symbolique forte. La doctrine coloniale britannique reposait en effet sur l’utilisation des matières premières des colonies pour fournir à bas prix les biens nécessaires au développement de l’industrie britannique.

Développer une industrie textile nationale, c’est donc également, pour les Américains de l’époque, un moyen d’entériner l’émancipation des États-Unis vis-à-vis de la Grande-Bretagne. Les grandes entreprises industrielles, notamment au nord du pays, profitent ainsi très rapidement des innombrables débouchés que propose un territoire aux dimensions gigantesques.

Le développement de l'industrie américaine s'est aussi appuyé sur la culture puritaine des protestants chassés d'Europe, et ayant massivement immigré dans le nord des États-Unis. Il s'est alors développé au Nord une culture basée sur la foi dans la possibilité de gravir l’échelle sociale par le travail et les efforts quotidiens, que l’on retrouve probablement moins dans le sud du pays.

Enfin, la rapide croissance de l’industrie s’accompagne d’une véritable révolution des transports, déterminante dans un pays de cette dimension. Alors que la nouvelle nation avait hérité de routes en très mauvais état, souvent impraticables par mauvais temps, on construit très vite un nouveau réseau routier plus moderne. Les trajets de longue distance sont également facilités par la mise en place de grands canaux, notamment dans la région des Grands Lacs.

d) Essor démographique et agrandissement territorial : de nouveaux déséquilibres

Cet essor économique est accompagné par un grand bouleversement de la démographie américaine. Dans la première moitié du XIXème siècle, la population des États-Unis double tous les vingt-cinq ans environ.

Population américaine avant la guerre de Sécession

Bien plus qu’à l’accroissement naturel, ceci est dû à l’étonnante vigueur de l’immigration. C’est en cette période que l’idée de « rêve américain » prend tout son sens alors que convergent vers les États-Unis des populations rejetées venant du monde entier. Certains, comme les protestants de Norvège et de Prusse ou les catholiques irlandais, tentent d’échappper aux persécutions. D’autres, comme les populations pauvres d’Europe occidentale ou d’Asie, fuient la misère.

À partir de 1848, on voit également arriver aux États-Unis des révolutionnaires exilés, ou des aventuriers attirés par la récente découverte de grandes quantités d’or en Californie. Là encore, ce développement touche en particulier les grandes villes du Nord-Est, de plus en plus urbaines et industrialisées à mesure que les nouveaux arrivants remplissent des usines toujours plus nombreuses.

Le développement américain est enfin territorial. La carte des États-Unis n’a plus grand-chose à voir en 1861 avec les Treize Colonies du temps de la guerre d’Indépendance. Peu à peu, les populations s’installent de plus en plus à l’Ouest, repoussant sans cesse les limites des territoires exploités par les Américains. Cet élargissement territorial commence avec l’achat de la Louisiane à la France en 1803. Il se poursuit par la décision de nombreux États, en général par référundum, d’intégrer les États-Unis. Ils réalisent enfin d’importants gains territoriaux liés aux victoires militaires contre le Mexique. En 1861, les États-Unis ne comptent ainsi plus 13, mais 33 États.

Agrandissement spectaculaire du territoire des États-Unis entre 1783 et 1861

L’ensemble de ces évolutions économique, démographique, et territoriale posent bien entendu la question de l’organisation des nouveaux territoires. Le retour des problématiques fédéralistes et républicaines-démocrates s’avère ainsi inéluctable dans un pays qui n’a toujours pas réussi, plusieurs décennies après l’adoption de sa Constitution, à réaliser son unité économique et sociale.




Épisode 2 : L’exacerbation des divergences entre Nord et Sud

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L'auteur

Stéphane, 22 ans, étudiant en master d'histoire à la Sorbonne et en école de commerce à l'ESCP Europe, Paris.

Stéphane rêve de devenir professeur d'histoire à l'université. Les supports interactifs étant un bon moyen pour répandre une culture de qualité au plus grand nombre, il a déjà écrit quatre articles pour l'application.

Textes de Stéphane Debuiche; Cartes de Delphine Gagnon ; Éditorial Cédric Soubrié. Contactez-nous pour réutiliser les cartes ou le texte.

Sources :

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